COMMENT FAIRE ACCEPTER SON TRAITEMENT AU MALADE - Résumé
COMMENT FAIRE ACCEPTER SON TRAITEMENT AU MALADE
Dr Xavier AMADOR
I. LA VERITE SUR LE DENI DE LA MALADIE
Un problème fréquent
- La plupart des études montrent qu’environ 50% des personnes atteintes de troubles psychiques sévères (schizophrénie, troubles bipolaires) ne prennent pas leur traitement; la raison la plus fréquente est le défaut de perception que les patients ont de leur maladie ; beaucoup d’entre eux ne sont pas conscients des divers symptômes de leur maladie.
La méconnaissance de la maladie et des bénéfices à attendre du traitement constitue un symptôme de cette maladie; cela n’a rien à voir avec une attitude défensive ou trop butée.
- Or les recherches montrent que maintenir sous traitement les personnes ayant une maladie mentale sévère est très important : la cohérence du suivi et du traitement aide à limiter les hospitalisations, à prévenir le suicide, les violences, l’errance sans domicile fixe et les comportements dangereux. Ce qui est clair maintenant, c’est l’effet très positif d’un traitement précoce et constant sur le cours de la maladie et sur l’espoir de récupération. Selon des recherches récentes, le pronostic à long terme s’aggraverait à chaque épisode psychotique, car chacun d’eux est toxique pour le cerveau.
Pour donner toutes ses chances au malade, nous devons nous attaquer aux problèmes couplés que sont le manque de perception de la maladie et le refus de traitement.
Mythes et faits avérés à propos de la conscience de la maladie
- On croit souvent à tort que le malade refuse les médicaments en raison de leurs effets secondaires. Ceux-ci ont leur importance, mais ils sont surestimés. Les malades abandonnent l’idée de convaincre les médecins et leur entourage qu’ils ne sont pas malades et parlent des effets secondaires des médicaments, car sur ce point, ils savent qu’ils seront écoutés.
- Autres mythes : 1) plus la personne est malade, moins elle perçoit sa maladie. 2) Le manque de perception de la maladie protègerait de la dépression et du suicide. La plupart des études montrent que ni l’un ni l’autre ne sont vrais.
La racine du problème : l’anosognosie « Ceci n’est pas surprenant puisque le cerveau, c'est-à-dire le même organe qui nous sert à penser et à évaluer nos besoins, est affecté dans la schizophrénie et le trouble bipolaire » Dr E. Fuller Torrey
- La personne atteinte de troubles psychiques sévères croit avoir encore les mêmes capacités et les mêmes perspectives d’avenir qu’avant le début de sa maladie. C’est aussi le cas des personnes atteintes de lésions neurologiques (traumatisme crânien- AVC – tumeur au cerveau) De nombreuses études (tests neuropsychologiques – IRM) révèlent des anomalies fonctionnelles ou anatomiques du cerveau, généralement des lobes frontaux, chez les personnes atteintes de troubles psychotiques et conduisent à la conclusion que le manque de conscience persistant de la maladie (= manque d’insight) et le manque d’adhésion au traitement résultent d’un dommage cérébral et non de l’entêtement ou du déni. C’est une découverte intéressante, car il est plus facile de rééduquer un cerveau endommagé, par la remédiation cognitive1, que de changer une personnalité.
(1) Techniques psychothérapiques pour réduire les déficits cognitifs : déficit de l’attention, de la mémoire, du raisonnement
-
La personne atteinte de troubles psychiques sévères croit avoir encore les mêmes capacités et les mêmes perspectives d’avenir qu’avant le début de sa maladie.
II. COMMENT AIDER LE MALADE
La bonne approche - la première étape consiste à :
- cesser de discuter de la réalité de sa maladie avec votre malade, et cesser d’affirmer la nécessité de suivre le traitement,
- commencer à écouter votre proche d’une façon qui lui laisse penser que son point de vue est respecté, y compris ses idées délirantes et sa conviction de ne pas être malade. En suivant cette règle vous pourrez devenir des alliés et travailler ensemble pour trouver les raisons qu’il pourrait avoir de suivre le traitement.
A partir de la Thérapie d’Amplification Motivationnelle (TAM) utilisée pour traiter les addictions, le Dr A. Beck et moi-même avons développé une Thérapie de l’Adhésion au Traitement et de l’Insight (TATI) pour les professionnels, et adapté cette méthode aux non- professionnels ; c’est la méthode Ecoute-Empathie-Accord-Partenariat (EEAP)
Apprendre la méthode - le processus comprend quatre étapes :
- savoir utiliser l’écoute réflexive : après avoir écouté votre proche, vous direz en retour ce que vous avez compris de ce que vous avez entendu, sans ajouter de commentaire, ni montrer de désapprobation.
- l’empathie, en particulier par rapport aux sentiments de votre proche, que vous avez ignorés jusqu’à présent. Montrer de l’empathie, cela signifie que vous devez vous montrer compréhensif pour toutes les raisons qu’il a de ne pas accepter son traitement; comprendre comment des idées délirantes génèrent un sentiment ne revient pas à admettre que ces idées sont justes, mais votre proche sera plus réceptif quant à vos opinions et vos craintes.
- savoir négocier un accord : reconnaître à votre proche le droit d’avoir des choix personnels et une responsabilité dans les décisions à prendre sur sa propre vie. Se transformer en observateur neutre des conséquences positives et négatives des décisions prises, pour connaître les motivations que votre proche peut avoir à accepter le traitement.
- le partenariat : planifier un plan de collaboration pour atteindre les objectifs que vous partagez.
Etape 1 : L’ECOUTE - Directives pour l’écoute réflexive :
1. Créer une atmosphère pacifiée
2. Connaître vos peurs
3. Arrêter d’imposer vos objectifs
4. Laisser dire
5. Montrer du respect pour ce que vous avez entendu
6. Trouver des problèmes sur lesquels il est possible de travailler
7. Ecrire les gros titres récapitulatifs
1. Comment créer des conditions de confiance pour la discussion ?
Présentez vos excuses, normalisez la réaction du malade, promettez de ne pas recommencer : « Excuse-moi de ne pas t’avoir écouté. Je comprends pourquoi tu ne veux plus me parler de tout cela. Si j’étais à ta place, je ressentirais probablement la même chose. Je voudrais comprendre pourquoi tu détestes les traitements; je promets que je ne ferai rien d’autre que de t’écouter et essayer de mieux comprendre ton point de vue. Je te promets de ne pas donner mon opinion. »
Pourquoi ? Un conseil non sollicité a peu de poids.... quand il n’irrite pas... Quelqu’un qui se sent écouté aura envie de demander son avis à son interlocuteur.
2. L’écoute réflexive peut susciter de la peur chez celui qui la pratique :
« Il ira encore plus mal si je l’écoute comme le Dr Amador nous conseille de le faire. Est-ce que je ne l’encourage pas dans son délire ? ».
Répéter une phrase délirante, ajouter : « Est-ce que j’ai bien compris ? », ce n’est pas exprimer son accord. Face à quelqu’un qui a des croyances irrationnelles solidement ancrées, vous ne gagnez rien à vous y opposer. Au contraire, la personne deviendra réticente à discuter de son problème.
3. N’imposez pas vos objectifs ; essayez de comprendre pourquoi la personne est révoltée d’être hospitalisée ou d’avoir à prendre un traitement et terminez par : « Je te promets que je ne vais pas te faire de reproches ou te mettre sous pression. » Essayez sur tous les sujets brûlants et voyez ce qui se passe.
4. Laisser dire : Face aux manifestations des troubles de la pensée, essayez de découvrir les sentiments derrière les mots et renvoyez l’émotion.
5 Respect : Méditez cette pensée : seriez-vous vraiment intéressé par l’opinion de quelqu’un avec qui vous êtes en désaccord et qui n’écoute même pas votre point de vue ?
6. Trouvez des problèmes (d’après la personne) sur lesquels il est possible de travailler (par exemple, les hospitalisations répétitives – ce qu’elle attend de la vie)2
7. Gros titres : les problèmes que le malade croit avoir et les raisons qui le motivent à changer
(2) Pour induire chez le malade la motivation à changer, il faut que l’intérêt à changer soit plus intéressant que le non-changement ! Pour y parvenir, il faudra prendre en compte les besoins et les croyances du malade : son besoin d’autonomie, de sécurité, d’estime de soi et les valeurs qui sont siennes. L’expérience montre que la persuasion marche mal : voir les campagnes de santé publique de lutte contre l’obésité, l’alcoolisme, la toxicomanie. Réfléchissons un peu : est-ce que la persuasion marche sur vous ? Vous savez qu’il est bon pour la santé de pratiquer une activité sportive ; le faites-vous ? On ne change pas si on ne perçoit pas une raison de changer
Etape 2 : L’EMPATHIE
Si vous ressentez de l’empathie et que vous la transmettez, votre proche malade se sentira mieux compris et respecté ; quand vous transmettez l’idée que vous comprenez comment il ressent les choses, il sera moins sur la défensive et son esprit s’ouvrira davantage à d’autres façons de penser.
Votre empathie doit porter sur :
1. Les sentiments de frustration (portant sur les pressions exercées par autrui pour obtenir la prise des médicaments ou sur les objectifs personnels non atteints)3
2. Les sentiments de crainte (crainte des médicaments, de l’échec, d’être stigmatisé)
3. Les sentiments d’inconfort (attribués aux médicaments : prise de poids, ralentissement)
4. Les désirs (de travailler, se marier, éviter l’hôpital etc)
(3)Dire par exemple : « moi aussi je serais en colère, si... »
Comment gérer la question inévitable : Es-tu d’accord avec moi ?
Reportez la réponse aux questions concernant votre opinion sur les idées délirantes, sur le fait d’être malade, et sur la nécessité du traitement, pour continuer à construire de bonnes relations, pour amener la personne à se sentir responsable d’avoir voulu votre opinion car elle en a réitéré la demande. Exemples de réponses :
« Je te promets que je répondrai à ta question, mais je souhaiterais continuer à t’écouter ; es-tu d’accord ?» - « Tu sais ici, c’est ton opinion qui prime, pas la mienne. Quand tu seras tout seul, c’est toi qui décideras. »
Ne donnez jamais votre opinion sans utiliser la règle EFAD :
E : excuses « Je voudrais que tu m’excuses si mon avis peut te blesser ou te dérouter »
F : faillibilité « Je peux aussi me tromper. Je ne le pense pas, mais c’est possible »
AD : être d’accord d’être en désaccord : « On peut se mettre d’accord sur le fait d’être en désaccord sur ce point ; je respecte ton opinion, tu respectes la mienne. »
Etape 3 : L’ACCORD Reconnaître et mettre à profit les circonstances favorables
Une fois que les défenses de votre proche malade ont baissé et qu’il paraît plus réceptif à votre façon de voir les choses, il convient de :
1. normaliser le vécu du patient (« Je ressentirais la même chose si j’étais à ta place »)
2. ne discuter que des problèmes ou symptômes perçus par le malade (pas de la maladie)
3. Passer en revue les désavantages et les avantages du traitement tels que perçus par le patient (qu’ils soient rationnels ou non) = tableau à deux colonnes.
4. corriger ses idées fausses (les médicaments antipsychotiques ne créent pas de dépendance, la maladie n’est pas due à l’éducation ou à la prise de drogues)
5. Reprendre et souligner les bénéfices perçus par le patient
6. accepter d’être en désaccord et souligner les points d’accord.
Etape 4 : LE PARTENARIAT
Tâchez de tomber d’accord sur des objectifs possibles, mais ne vous limitez pas à ceux-là. Comme l’acceptation du traitement ne se fait pas définitivement en une seule fois, mettez à profit les réhospitalisations dues à l’arrêt du traitement pour faire réfléchir votre proche malade sur les symptômes perçus avant la crise. Si vous pensez qu’il abandonnera son traitement, proposez-lui de tester ce traitement : qu’il note ce qui se passe quand il prend ses médicaments, et ce qui se passe quand il arrête. Reprenez avec lui les bénéfices obtenus avec le traitement, mais évitez bien sûr de lui asséner vos conclusions.4
(4) En amenant la personne à avancer pas à pas dans ses objectifs de vie, en la faisant raisonner sur les avantages et les inconvénients de chaque solution par une approche de type essai/erreur, on parvient à établir un véritable partenariat.
III. QUE DEVRAIT-IL ARRIVER ENSUITE ?
LE TRAITEMENT
Mon conseil est d’adopter un traitement simple si vous le pouvez : quand un patient est dans la non-perception de sa maladie et a une faible adhésion au traitement, je recommande l’utilisation d’un traitement injectable à action prolongée.
PSYCHOTHERAPIES
Vous pouvez conseiller la lecture de ce livre au thérapeute qui suit votre malade, lui dire que, de votre côté, vous souhaitez mettre en œuvre la méthode EEAP et lui demander ce qu’il en pense.
Par ailleurs il a été prouvé que la thérapie cognitive, en mobilisant d’autres zones du cerveau que les lobes frontaux lésés, est efficace pour réduire la sévérité de certains symptômes.
QUAND CONTRAINDRE ? RECONNAITRE LES SIGNAUX D’ALARME
- propos ou gestes menaçants
- idées suicidaires
- automutilations, ingestion de substances dangereuses
- multiplications de coups de téléphone ou de visites importunes
- refus ou impossibilité de parler à quiconque
- délires de grandeur – discours inintelligibles
- parler tout seul avec excès
- idées de persécutions
- ordres hallucinatoires
- détérioration significative des soins de sa personne et de son hygiène
- danger dû à la désorganisation de son comportement (ex : chutes de cigarettes allumées)
- détérioration de son état de santé (refus de s’alimenter, de se soigner pour une autre maladie sérieuse – ajout de drogues aux médications prescrites)
- manque de jugement (conduites excentriques, refus de payer ses factures, le fait de ne pas se conformer aux procédures nécessaires pour toucher ses allocations, faire des fêtes intempestives, des dépenses excessives)
GERER LE SENTIMENT DE TRAHISON
Il est impératif que vous alliez rendre visite au malade que vous avez fait hospitaliser sous contrainte, pour éviter qu’il ne croie que vous avez voulu vous débarrasser de lui.
Je ne vous conseille pas de vous excuser pour ce que vous avez fait, mais plutôt pour le ressenti que cela a occasionné chez votre parent :
A faire :
- reconnaître le sentiment de trahison qu’il a éprouvé
- demander qu’il vous pardonne
- expliquer pourquoi vous avez ressenti le besoin de faire ce que vous avez fait
- dire honnêtement que vous le referiez
Pour chaque phrase exprimée, demandez-vous ce que vous ressentiriez si c’était vous qui les entendiez.
Vos regrets : il est naturel que vous en ayez. N’oubliez pas de lui dire d’abord qu’à sa place vous seriez vous aussi en colère. Dites à votre malade à quel point vous auriez aimé ne pas en passer par là, mais ne lui reprochez pas de vous avoir mis dans la situation de le faire. Faites ressortir que ce sont vos valeurs et votre amour qui vous ont motivé.
Expliquez vos craintes, sans les formuler sous la forme d’accusation, à partir des faits qui ont précédé l’hospitalisation.
N’attendez pas que votre proche malade vous dise qu’il vous pardonne. Réitérez vos explications par écrit. Vous aurez au moins réduit le conflit entre lui et vous.
LA SURPRISE
Les patients aidés par la thérapie EEAP n’accepteront peut-être pas d’admettre qu’ils sont malades, mais diront : « Je peux bénéficier de certaines aides ».
Lorsque des malades suivent correctement leur traitement, et qu’ils ont construit un type de relation basé sur la confiance et le respect avec un thérapeute ou des membres de leur famille, on peut tabler sur une amélioration de la perception de leurs troubles.
Résumé du livre « Comment faire accepter son traitement au malade »
du Dr X. AMADOR. éditions Retz 2007
Les notes en bas de page sont des commentaires du Dr Yann HODE, PSYCHIATRE, un des deux traducteurs du livre de X. AMADOR, praticien hospitalier à Rouffach et responsable du programme Profamille